Hasta Siempre Colombia n°10 (2) - Manizales y Los Nevados
Finalement, me voilà à Manizales, chef lieu de la région de Caldas. La ville n'a pas grand intérêt, en tous les cas pas par la beauté de ses monuments ou son charme pittoresque. On vient à Manizales pour ses environs, en l'occurrence la zone caféière où de nombreuses fincas proposent une visite guidée de la production, et aussi pour le parc national de Los Nevados dont le sommet culmine à 5400 mètres, et que l'on peut approcher en une journée sans aucune difficulté, moyennant l'aide d'un tour opérateur. Pour faire le malin, je choisis une autre option afin de randonner trois jours dans le parc à l'écart du circuit touristique classique. Le tour opérateur en question, très serviable, me dégote un petit vieux qui fera office de guide ; même service mais à un prix défiant toute concurrence. Après avoir fait le plein de provisions ensemble, rendez-vous est pris pour demain matin 3h30.
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Il est à l'heure le bougre. Le taxi nous dépose à l'autre bout de la ville, en pleine nuit dans une rue déserte. Un homme passe, dissimulé sous un passe-montagne et un pancho, un parapluie à la main, accompagné d'un chien. Mon petit vieux et l'homme discutent le bout de gras comme de vieux copains. Arrive un autre gars, puis un motard livreur de journaux qui fait le plein de sucettes chez l'épicier dont le rideau vient de s’ouvrir. Il est 4h30. Café tinto pour tout le monde. D'autres arrivent encore, sortant d'on ne sais où, venant ici on ne sait pourquoi. Enfin, arrivent une chiva géante et une jeep. Il est 5h30. Nous prendrons la jeep. Le temps de changer une roue et de faire tomber trois fois la voiture à cause d’un crick malveillant, et nous voilà partis. Il est 6h00. Je comprends rapidement le pourquoi de ce lieu de rendez-vous incongru quand nous arrivons au bout de la rue, que sans transition, nous quittons la ville et grimpons sur une piste. La chiva géante nous suit avec à son bord des passagers, du matériel et sans doute des provisions. On n'a pas fait plus de trente kilomètres, mais ça a pris trois heures. Je ne savais pas qu’une voiture pouvait physiquement passer par une route aussi mauvaise. D'ailleurs, ce n’est plus une route mais un tas de cailloux et de trous disposés en long à travers la montagne. La piste dessert des fincas, et permet également de collecter le lait. Nous sommes les derniers à descendre, quelque part au milieu de nul part. Et justement, au milieu de nul part, à 3500 mètres d'altitude, voici venir un VTTiste super équipé (sac à dos, duvet, tapis de sol, vêtements techniques), qui se trouve être un très bon ami de mon petit vieux. Dans ce paysage semi désertique, cette rencontre est des plus improbables, tout comme celle d'un militaire accompagné de sa fidèle mitraillette, et chargé de surveiller le secteur. Mais où est l'ennemi ? Tout seul et étant donné l'étendue du domaine, c'est pas évident qu'il le trouve.
Nous chargeons les sacs à dos et suivons la piste qui continue doucement sa montée. Aujourd'hui Jairo a prévu une petite étape histoire de nous acclimater à l'altitude, avant d'attaquer la grosse étape de demain. Pour commencer, nous allons voir les fermiers et tenter de se faire servir un petit déjeuner. Non seulement servi, mais aussi offert : café con leche en direct de la vache et beignets de maïs en direct de la marmite huileuse. Cette halte est l'occasion de découvrir l'intérieur d'une cuisine et de constater qu'elle ressemble à ce qui se faisait chez nous il y a quelques années en dehors des villes, c'est à dire une grande pièce pouvant accueillir les repas, encombrée d'un immense fourneau à bois faisant office de chauffage le soir et l'hiver (bien qu'ici les saisons ne soient pas bien distinctes). En échange de ce ravitaillement, le guide offre à tous les pensionnaires de la ferme, des biscuits et autres sucreries, nourriture providentielle dans un coin de montagne aussi isolé. Les pensionnaires en question profitent de cette belle journée ensoleillée pour opérer les bovins. Au début, je ne comprenais pas bien l'objet de la chirurgie. Une vache allongée sur le côté à qui l'on trifouille le bas ventre pour en extraire un truc sanguinolent, sorte de kyste géant. Quand la suivante est arrivée, j'ai tout de suite compris (ne me demandez pas comment j'ai fait), qu'il s'agissait de taureaux et que le kyste en question était une couille. Pas de chichi ni d'anesthésie locale, un coup de bistouri, une incision, une couille dépecée sur laquelle on tire, entortillant les « canaux » afin qu'il n'en reste plus un centimètre, un coup de bistouri pour sectionner le « canal », et la couille fini sa course dans un seau où flotte déjà plusieurs paires. L'animal est libéré, magie de la chirurgie et métamorphose du taureau, il est devenu boeuf.
Ragaillardis par ce petit déjeuner paysan et cette expérience délectable, nous reprenons la marche en direction de l'entrée du parc. Autour de nous, des montagnes, pâturages pour les plus douces, couvertes de neige pour les plus hautes, une végétation assez basse sans doute contrainte par le vent et la température nocturne, un petit air de steppe mongoles, en tous les cas de grands espaces et de tranquillité. Trois heures plus tard, nous posons les sacs à dos dans une pièce minable appartenant à une finca un peu délabrée, tenue par un jeune couple. Seuls quelques chevaux broutant aux alentours leur tiennent compagnie. A 3850 mètres et loin de tout, je me demande bien de quoi ils vivent et comment ils occupent leurs journées. Fin de la première étape, nous visitons les environs et constatons rapidement que ces confortables touradons sont propices à une sieste abritée du vent. Le coucher de soleil est magnifique, d'autant plus qu'il annonce l'heure du repas que nous partageons avec nos hôtes, dans la cuisine comme il se doit, pas bien loin du fourneau.