El condor passa – outra vez
Cinquième jour, 5 h du matin, départ d’Aguas Calentes, ascension des marches à la frontale au milieu de dizaines d’autres courageux que l’appel du site mythique et surtout désert a tiré du lit avant l’aube. Être les premiers ce matin comme si on était vraiment les premiers, les pionniers, les grands explorateurs ; être les premiers pour pouvoir accéder au Waina Picchu, le célèbre pain de sucre réservé aux 400 premiers visiteurs, et d’où la vue semble embrasser à la fois le site, mais aussi toute la vallée. Finalement, la météo ne nous sera pas très favorable et le Machu Picchu se laissera désirer toute la journée, hésitant entre brouillard et pluie ; seuls, quelques accalmies sauverons la mise, de quoi découvrir et explorer les lieux, mais pas de quoi se rouler dans l’herbe verte et s’extasier pendant des heures. Juste de quoi être bien trempés, juste de quoi se dire que pour le retour a Cuzco on va pas s’embêter et qu’on a bien mérité un direct en train au prix pas très raisonnable.
Nous quittons le sud pour la Cordillera Blanca, après un passage éclair à Lima. Immense ville au traffic hallucinant – normal car on n’y fait pas grand chose à pieds – au “plafond“ gris quasiment permanent en hiver, sauf justement pendant cette petite éclaircie tombée du ciel, qui nous a permis de mieux apprécier le centre historique et ses rues aux façades colorées, ainsi que la quotidienne et fanfaronesque relève de la garde. Une journée en forme d’étape obligée avant de monter jusqu’à Caraz, au coeur du parc national du Huascaran, abritant notamment le point culminant du Pérou (d’où le nom du parc), et plus haute cime tropicale du monde, c’est pas rien. Caraz est un peu aux antipodes de Lima, petit village paisible pais pas pépère pour autant, où l’on peut flâner tranquillement, mais où la vie ne se limite pas à quelques vieux croulants. Au contraire, l’endroit regorge de pâtisseries bien fournies, le marché très animé déborde dans toutes les rues, la place d’Armes ne connaît point de désertions et le soir, le “centre” est en pleine effervescence. Qui l’eut cru ? Aux pieds des montagnes et quasiment au départ du plus fameux trek de la Cordillères, Caraz vit à l’abri du tourisme, comme le prouve l’unique agence de voyage du village, quand sa grande et proche cousine Huaraz, dépourvue de charme, croule sous les tours-opérateurs. Bref, on a bien aimé ce bled et notre belle hospedaje avec jardin et hamac.
On continue nos petites randonnées. La recherche d’Ariero (muletier) n’ayant rien donnée, nous partons à l’assaut du Santa Cruz sac au dos. Aïssata est ravie : 4 jours de portage et un col à 4750 m à franchir. Tellement ravie qu’elle ne veut plus s’arrêter et décide de sauter une étape. Résultat des courses : 3 jours de trek dont le deuxième en forme de performance avec une dénivelée +1000 / -1000 en passant par le fameux col sous la neige SVP ; neige qui deviendra pluie en fin de descente ; deux bivouacs sur deux sous la pluie, qui deviendra verglaçante et gèlera sur la toile de tente (c’est plus une tente c’est un igloo – bon d’accord, on dort juste à 4200 m) ; une légère frustration au réveil du troisième jour sous un soleil éclatant et un ciel bleu, où apparaissent au loin derrière nous tous les sommets enneigés et autres glaciers qu’on a frolé la veille dans la brume sans vraiment bien les voir. Décidément, cette histoire ressemble comme deux gouttes d’eaux (voire plus) à celle du Machu. Et puis finalement un énorme lot de consolation avec cette fin de randonnée magnifique toute ensoleillée et le retour à Yungay par une route d’une incroyable beauté, en compagnie d’un chauffeur qui vient de livrer un groupe de touristes. Finalement, ça finit bien à la fin.
Le lendemain, on remet ça mais sans les sacs à dos. Et l`c’est que du bonheur parce que je viens de vous le dire, on n’a pas les sacs à dos, parce que la météo y met enfin du sien, et parce qu’on a rarement vu quelque chose d’aussi beau. Cet endroit magique s'appelle la Laguna 69, et c'est peut-être pour ça qu'elle est magique. Dans le secteur, y'a plein de lagunas, pas des lagunes, des lacs, qui sont pour la plupart aux pieds des glaciers eux-mêmes aux pieds des montagnes. La 69 se trouve donc au fond d'une vallée, elle-même au fond d'une autre qui n'a rien a lui envier, aux pieds de montagnes impressionnantes, aux flancs verticaux, recouverts de neige et glace scintillants, dominant des glaciers qui plongeraient bien dans l'eau turquoise si un certain réchauffement ne les avait pas fait reculer. Bref, la Laguna 69 est vraiment sensuelle. En redescendant, on tombe nez à nez avec les cimes perchées du colosse Huascaran, une énorme cerise pour couronner la balade. Et ce ne sont pas quelques gouttes qui nous gâcherons cette fin de journée. Surtout que quand la pluie se met à tomber véritablement, nous sommes déjà à l'abri, dans l'un des bus les plus inconfortables de la planète. Il faut dire que la piste défoncée l'assiste judicieusement dans cette tâche.